Aujourd’hui, réparer après un sinistre est plus coûteux et complexe que jamais. Le COVID est encore présent avec des effets d’arrêts de production ou de livraison. La guerre en Ukraine rend l’approvisionnement de secteurs comme l’agriculture problématique pour les céréales et les engrais. A quels sous-jacents identifiés sommes-nous confrontés ? Comment adapter les pratiques de l’expertise à ce contexte ?
Des hausses indéniables de prix
A des hausses des prix des matières premières, disons classiques, s’ajoute une explosion sans précédent du prix de l’énergie.
- L’inflation touche de manière récurrente les matériaux depuis 2019. Les prix du cuivre, du bois, de l’acier et de l’aluminium notamment) augmentent de +60% à +70% tous les 3 mois d’après l’INSEE. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des devis à échéance sous 15 jours, ce qui complique la tâche des experts pour les valider dans des délais aussi contraints. Après 15 jours, des fournisseurs parfois indélicats augmentent les tarifs annoncés sans qu’il soit certain que leurs propres approvisionnements aient été majorés. La loi de l’offre et de la demande exacerbe cette course à l’augmentation des prix.
- L’inflation des prix de l’énergie impacte les coûts de production de certains matériaux, aux premiers rangs desquels l’acier et les matières plastiques. Certaines entreprises ont même décidé de ne pas produire.
Même le secteur tertiaire est confronté à ce casse-tête d’optimisation des factures énergétiques. Cinémas, piscines, salles de sport sont nombreux à se poser la question d’une fermeture partielle en semaine en raison d’un coût de maintien en température trop élevé.
Les stations de ski pourraient décider de ne pas ouvrir cet hiver face à des factures décuplées. Dans cette impossibilité d’exploiter, force est de constater que l’inflation joue un rôle majeur.
Des pénuries de matériaux
Les pénuries, comme nous avons pu le constater lors des épisodes de grêle dans le Centre de la France cet été, concernent par exemple les matériaux de couverture ; les tuiles, notamment, sont indisponibles.
Si cela n’a pas d’effet direct pour les particuliers, qui bénéficient de mesures conservatoires, il en est autrement pour les entreprises. En l’absence de solutions techniques alternatives, les postes de frais annexes, par exemple pour perte de jouissance ou pertes de loyer, peuvent se trouver impactés.
Les délais de commande ont augmenté sur de nombreuses références de 3 à 4 mois. Or, si les assurés sont soulagés d’être indemnisés, ils préfèrent sans doute que leur bien soit réparé.
Délais et coût de la maitrise d’œuvre
L’allongement des délais entre le dommage direct et sa réparation induisent une inflation des frais de maîtrise d’œuvre, par le biais de compléments de mission. Si on estime ce poste à 9/10% du coût total d’un chantier en général, il peut se trouver augmenté à 11/12% sur un montant de travaux réévalué, à laquelle peuvent s’ajouter des vacations au temps passé. Nous devons rester vigilants sur ces points qui contribuent à la hausse globale du prix des réparations.
Une situation qui affecte l’ensemble des entreprises de la construction
Face aux difficultés d’approvisionnement et aux hausses des coûts directs de matériaux, les entreprises du bâtiment se font concurrence entre elles pour servir au mieux leurs propres clients. Elles disposent aujourd’hui de carnets de commande très pleins, et dans ce contexte de surcroît d’activité, elles privilégient les clients qui valident les devis rapidement pour les inclure dans leur planning de chantiers. Cette concurrence se fait le plus souvent au détriment du consommateur, qui se trouve pressé de valider des devis sous 15 jours, sans possibilité de les comparer ou de les négocier.
Le couple inflation + pénurie peut conduire à une hausse de +50% du coût moyen des sinistres, les dossiers deviennent plus longs et plus complexes.
Jusqu’à quand cette situation peut-elle perdurer ?
Nous avons une visibilité limitée sur les facteurs qui pourraient faire baisser l’inflation. La dérèglementation en matière de gaz et de transports va commencer à faire ressentir ses effets en 2023.
En matière de catastrophes naturelles, nous avons la certitude de devoir faire face à de plus en plus d’évènements climatiques de tout type, y compris des risques inobservés en France jusqu’à présent. On observe un facteur supplémentaire : le couple fréquence/gravité se modifie pour aboutir à des sinistres de plus en plus critiques.
Cela se traduit pour les réseaux d’experts par la nécessité d’intervenir très vite. Concrètement, il faut pouvoir mobiliser en un mois la capacité habituelle de six mois de dossiers pour un évènement comme la grêle de la région Centre de juin. De plus, cela nécessite pour les experts d’avoir des compétences variées (variantes techniques selon la nature de l’évènement climatique).
Comment agir dans ce contexte ?
En tant qu’intervenants directs sur les sinistres, nous devons mener une réflexion sur notre impact environnemental global : nos déplacements pour gérer les dossiers, les solutions que nous pouvons proposer pour réparer, la manière de dialoguer avec notre écosystème dans son ensemble. Nous devons veiller à favoriser l’équité dans le traitement de chaque dossier. La recherche de solutions alternatives, utilisation de pièces anciennes et de matériaux de réemploi, logique de circuits cours, prend tout son sens.
Le gré-à-gré
Le niveau de gré-à-gré reste également élevé en France. Au moment où beaucoup d’assureurs s’attachent à maintenir le coût moyen du sinistre, encore faut-il que les assurés aient les moyens d’acheter les matériaux nécessaires pour effectuer eux-mêmes les réparations. Ces solutions doivent continuer à refléter la réalité du coût effectif des réparations.
La réparation en nature
En REN, les réseaux peinent à répondre à la demande. Cela reste une bonne option pour les petits sinistres, mais elle n’est pas adaptée aux plus gros montants, où elle serait pourtant très utile. Les assurés doivent s’appuyer sur les experts pour que ces derniers leur proposent des entreprises avec lesquelles ils collaborent régulièrement. Travailler avec des prestataires réactifs fait gagner du temps, et comme nous l’avons vu, permet de mieux maîtriser le coût total des chantiers.
Les solutions de réemploi
L’usage du réemploi sur les bâtiments de moins de 10 ans peut s’avérer compliqué en raison de la période de garantie décennale, mais les pièces de remploi sont aussi performantes que les matériaux neufs malgré ces questions.
Un courtier ou à un réparateur pourrait se spécialiser pour centraliser l’offre et permettre aux acteurs de consulter une base de données comme le propose le site Homepage | Opalis.
Vers une évolution du principe indemnitaire ?
Tenus par le principe indemnitaire, nous continuons à réparer à l’identique. Or, nous pourrions aller plus loin et contribuer à améliorer certains bâtiments au moment de leur réparation, ce qui pourrait s’apparenter à de la prévention dans d’autres domaines. En prenant l’engagement que cela ne coûte pas plus cher à l’assureur, on pourrait imaginer d’isoler un toit, de poser un insert... pendant la phase de travaux liés au sinistre.
Aujourd’hui, les assureurs ne sautent pas le pas. Faire évoluer ce point nécessite de changer les pratiques des experts et des assureurs, dans un environnement réglementaire adapté.
Alors que nous allons de plus en plus vite sur le chiffrage des dommages, nous sommes confrontés à des challenges pour remettre rapidement et au juste prix le bien dans son état précédant le sinistre. Nous continuerons à rechercher des solutions de réemploi et d’amélioration des bâtiments, notamment au plan préventif, qui demeurent des pistes d’avenir pour nos métiers.