Afin de pérenniser la continuité d’activité dans le secteur du bâtiment en France pendant le confinement, le gouvernement a mis en place dès le mois d’avril un « Guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction en période d’épidémie de coronavirus COVID-19 » après consultation auprès de diverses organisations professionnelles et syndicales représentatives du BTP.
Ce document liste des gestes barrières ainsi que les protocoles sanitaires qui doivent être respectés par des professionnels du bâtiment et de la construction dans la gestion des sinistres post-confinement. Et ce pendant une durée que personne ne connait réellement, pour l’instant, mais qui à l’évidence devrait se chiffrer en mois.
Ces règles, très strictes, impliquent pour l’entreprise beaucoup de mesures à mettre en place. Par exemple, les compagnons qui se déplacent à deux ou trois pour se rendre sur un chantier doivent privilégier un moyen de transport individuel. L’entreprise dispose-t-elle de suffisamment de véhicules professionnels ? Faudra-t-il demander aux artisans de prendre leur véhicule personnel, quitte à rembourser les frais de déplacement ?
De même, concernant le matériel (pinceaux, outils, …), le guide préconise que l’équipement ne soit plus collectif (ou chacun se sert dans une boite à outils commune). Donc l’entreprise doit acquérir du matériel supplémentaire, afin de pouvoir équiper chaque salarié de façon individuelle.
Hausse de 8 à 15%
Ces mesures engendrent du temps supplémentaire pour faire les travaux, du matériel supplémentaire, des frais de déplacement supplémentaires. Tout cela, mis bout à bout, devrait générer une hausse des prix dans le bâtiment et notamment pour les travaux de rénovation suite à un sinistre, d’où un impact pour les assureurs. Nos études révèlent que ce surcoût est susceptible de varier entre 8 et 15%. Ce montant n’est pas neutre pour des assureurs dont les résultats techniques sont la pierre angulaire de leur santé financière.
Nous avons donc réalisé une étude sur le sujet avec d’autres membres de la Fédération des Sociétés d’Expertise.
Il y a d’abord les chantiers de petite taille, où les artisans interviennent généralement seuls, et qui constituent 75% de notre activité avec les assureurs. C’est l’exemple classique d’un dégât des eaux, nécessitant des travaux d’intérieur, peinture, revêtements muraux, voire revêtements de sol. Nous étions parvenus à la conclusion que l’augmentation justifiée du devis était de l’ordre de 9 à 11%.
- Matériel (pinceaux, outils, environ 3% du prix unitaire d’un chantier) : hausse de 50%, soit 1,5% du total
- Fournitures (peinture, papier peint, parquet, maçonnerie et autres matières premières, 27% du prix du chantier) : hausse de 5%, soit 0,5 à 1% du total.
- Services (toute la partie administrative et relations clients, soit 12% du prix) : hausse de 30%, soit 5% du total
- Enfin, la main d’œuvre, qui représente 58% du coût d’un chantier : la hausse atteint 7%, liée à l’ajout d’une demi-heure de travail supplémentaire par jour pour nettoyer, mettre en place les gestes barrières, protocoles et autres. Ce qui pèse 4% de l’augmentation du prix global.
Par ailleurs, il est possible qu’outre ces éléments conjoncturels, s’ajoute un effet d’aubaine, et une survalorisation de l’entreprise pour bénéficier du flou du moment.
En revanche, le surcoût est susceptible d’atteindre 12 à 15% dans les gros chantiers, c’est-à-dire des sinistres avec plusieurs corps d’état, la coordination de chantiers et autres. La situation y est plus compliquée, car il faut mettre en place davantage de distanciation, de règles sur le travail en équipe. Cela se traduit par plus de temps de main d’œuvre à rajouter, des délais rallongés, qui impactent d’autant plus les budgets de ces gros chantiers.
Un autre problème est de déterminer qui va absorber cette hausse : les entreprises, qui devront rogner leurs marges ? Ou le client sachant que les devis avaient déjà été validés ?
Certains suggèrent une augmentation supérieure à 20%, un chiffre qui parait largement surestimé pour nous, techniciens du bâtiment. Cependant, nous ne sommes pas à l’abri d’une flambée des prix si de nombreuses entreprises devaient faire faillite, ne laissant que beaucoup moins d’acteurs présents par rapport à l’avant confinement.
Loi de l’offre et de la demande
Un élément vient compliquer derechef cette discussion, c’est l’impact de la pandémie sur l’offre et la demande dans le secteur.
Il est trop tôt pour déterminer le nombre précis d’artisans affectés. Beaucoup d’entreprises du bâtiment sur le marché français sont de petite taille, un peintre, un plaquiste par exemple. Ces petites structures sont assez fragiles et un certain nombre d’entre elles pourraient déposer le bilan. Or forcément, plus l’offre est rare, plus les prix ont tendance à augmenter, ce qui pourrait accentuer cette augmentation conjoncturelle.
A contrario, on peut aussi se dire (et certains le pensent) que compte tenu du contexte actuel assez anxiogène, les assurés, particuliers comme professionnels, vont être beaucoup plus prudents et donc réaliser moins de travaux. Dans cette hypothèse, une réduction de la demande entrainerait une diminution des prix.
Pour l’instant, nous manquons de recul pour d’une part pouvoir anticiper combien d’entreprises vont résister à cette crise (dans le bâtiment et d’autres corps de travaux liés qui sont les plus fréquents pour les assureurs) ; et d’autre part, prévoir comment vont réagir le marché, les particuliers, les entreprises s’agissant des travaux à lancer.
Quelle durée ?
Nul ne sait à l’heure actuelle pendant combien de temps précisément les gestes barrières et protocoles sanitaires vont perdurer, même s’il est clair que ce sera plusieurs mois, au minimum six. C’est pourquoi il est difficile de prédire l’impact de plusieurs paramètres : l’évolution de l’offre et de la demande, ou la période estivale, d’ordinaire synonyme de ralentissement des activités pour le secteur du bâtiment.
La persistance de ces mesures sanitaires implique donc dans les mois à venir, de nouvelles habitudes à prendre, de nouvelles façons de travailler qui pourraient s’inscrire sur le long terme et profondément changer l’ensemble de la corporation. Tout cela reste à voir, pour l’instant nous n’en sommes qu’au démarrage du déconfinement.